UNE NOUVELLE ESTHETIQUE


1/ Une nouvelle esthétique
À une époque où l'Afrique subit encore la fascination de la technologie et de l'esthétique occidentales, les modèles architecturaux restent les tours en verre et en acier.. Il était tant inéluctable que, tôt ou tard,1e retour aux sources de la culture africaine, prôné par certains grands artistes. trouve un écho en architecture aussi.

 


Le bâtiment de l'Office Nigérien de l'Énergie Solaire (ONERSOL}, dont la conception remonte en Août 1978, s'inscrit de la manière la plus patente dans la voie de cette nouvelle esthétique dont le fondement est la recherche d'une synthèse entre l'architecture traditionnelle sahélienne d'une part, les contraintes et les technologies modernes d'autre part. (photos 163 à 167)
Le succès de ce premier bâtiment et l'appui de certaines personnalités nigériennes ont permis de continuer sur cette lancée d'autres projets de même conception: Palais de Justice d' Arlit et d' Agadez, Hôtel de Ville de Tahoua (photos 168 à 172), Cour d'Appel de Niamey (photos 173 à 177).

 

 

 

 

Cette recherche de ce qu'aurait dû être l'évolution harmonieuse de l'architecture vernaculaire vers l'architecture moderne, sans le traumatisme culturel de la colonisation, passe par l'étude des caractéristiques de cette première, caractéristiques qui peuvent se résumer ainsi :

 

 

 

al Diversité
L'architecture traditionnelle est, à de très rares exceptions près, de l'auto-construction. Chacun façonne sa maison progressivement, élément par élément, au fur et à mesure des besoins. Pas de préfabrication, pas de normes, la taille de chaque pièce, de chaque porte, de chaque fenêtre est déterminée par sa fonction et par l'inspiration du moment. On arrive donc , une extrême diversité des compositions.

 

b/ Simplicité
La palette des composantes de l'architecture traditionnelle est par contre réduite car les matériaux utilisés et les données climatiques sont contraignants. La nécessité, par exemple, de refaire chaque année le crépissage des façades n'incite pas à la création de décors compliqués ou d'éléments sophistiqués.

c/ Unité
Malgré la diversité des compositions, les ensembles sont harmonieux grâce à la simplicité des éléments et à l'unité des techniques et des matériaux employés.
d/ Douceur des formes
Le banco est un matériau malléable qui se façonne à la main. Contrairement aux construction en matériaux durs comme la pierre ou la brique, les constructions. en banco ont les arêtes arrondies et peu précises. Ces formes sont encore adoucies par les pluies qui, chaque année, emportent un peu de banco.
c/ Intégration au site
Le banco utilisé ne diffère en rien de la terre environnante, l'intégration au paysage de ces constructions aux dimensions réduites et aux formes arrondies est ainsi parfaite.

 

 

 

 

 

Les répondants modernes â ces caractéristiques peuvent se résumer ainsi pour les bâtiments cités précédemment :
al Diversité
La diversité des fonctions entraîne celle de leurs enveloppes et de leurs formes; Si l'uniformisation peut se justifier lors de fabrications en série, elle ne se justifie nullement lorsque tous les éléments sont fabriqués pièce par pièce.
Cette diversité peut se retrouver dans :
-la volumétrie :
nulle trame due à une préfabrication n'impose des volumes identiques dans le bâtiment ;
-les ouvertures:
la fabrication à la demande des menuiseries permet d'adapter au mieux les dimensions aux fonctions.
b/ Simplicité
La plupart des éléments que l'on retrouve dans ces bâtiments dérivent des. mêmes éléments de base très simples.
c/ Unité
Les dénominateurs communs que l'on retrouve aux éléments constitutifs ainsi que l'enduit extérieur uniforme donnent l'unité aux bâtiments.
d/ Douceur des formes
En plan et en élévation le jeu des lignes droites et des courbes se mettant mutuellement en valeur, a pour objet d'adoucir les formes sans les rendre mièvres.
e/ Intégration au site
La coloration et la texture de l'enduit « tyrolien » écrasé s'harmonise avec le banco des constructions traditionnelles et avec le paysage.
Dans ce passage de l'architecture traditionnelle à l'architecture moderne, il ne s'agit toutefois pas de le copier avec des matériaux différents des formes qui étaient dictées par l'utilisation rationnelle d'un matériau, mais bien de s'imprégner de l'état d'esprit des bâtisseurs traditionnels et de transposer leur conception esthétique sans tomber dans le piège du pastiche.
D'une manière générale, cette nouvelle esthétique est la transcription d'une nouvelle philosophie de l'architecture. Opposée au courant « Moderniste » qui pense que, grâce à la toute puissance de la technologie, l'on peut construire .le même bâtiment à New-York, à Abidjan, à Singapour et à Paris, cette nouvelle conception pose comme axiomes les points suivants :
a/ Tout site a un environnement physique propre auquel il faut s'adapter.
b/ Tout lieu est chargé d'un passé historique et d'un contenu culturel latent dont il est impératif de tenir compte.

De nouvelles techniques
Il y a trente ou quarante ans, la climatisation n'existant pas, un soin tout particulier avait été apporté à la protection naturelle des \maiSOnS contre la chaleur: hauteur importante sous-plafond, ventilation naturelle, galeries extérieures protégeant les murs d'un ensoleillement excessif. Avec l'arrivée en grand nombre de climatiseurs individuels, et un prix de l'électricité relativement bas, peu à peu les bâtiments ont commencé à changer d'aspect. Dans un but d'économie à la construction, on a commencé à réduire l'épaisseur des murs, à supprimer les galeries extérieures, à diminuer la taille des pièces. Les simples mesures de bon sens, comme l'orientation des ouvertures ou la protection des fenêtres par un auvent' ont été peu à peu oubliées.

Avec l'augmentation importante du prix de l'énergie la situation a changé. Les climatiseurs sont devenus des gouffres or les maisons récemment construites sont inhabitables sans leur utilisation. L'économie réalisée à court terme, au moment de la construction, est dévorée en quelques mois par les factures d'électricité.

Il était donc urgent de revenir à une protection naturelle des constructions contre la chaleur, même au prix. d'une petite majoration du coût au moment de la réalisation. C'est dans cet esprit d'économie à long terme qu'ont été conçus le bâtiment de l'ONERSOL, les Palais de Justice d' Arlit et d' Agadez, l'Hôtel de Ville de Tahoua et la Cour d' Appel de Niamey.

C'est essentiellement dans l'architecture additionnelle islamique qu'ont été puisées les idées des procédés de protection contre la chaleur des bâtiments.

Ces principaux procédés sont les suivants :

a/ Protection des ouvertures contre les rayons du soleil.
Les rayons qui arrivent sur une vitre pénètrent dans la pièce et l'énergie calorifique reste emprisonnée par effet de serre. Il est donc primordial. qu'aucune ouverture ne soit touchée, à aucun moment de la journée, par le soleil.
Les diagrammes solaires édités par le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment de Paris donnent la direction du soleil en un lieu, à tout moment de la journée. L'utilisation de ces diagrammes permet de déterminer les mesures à prendre pour que la vitre reste toujours à l'ombre. La première disposition à prendre est d'orienter toutes les ouvertures vers le Nord et vers le Sud. Dans ces deux directions il est relativement aisé de les protéger, le soleil étant toujours haut dans le ciel.
- Il n'en est pas de même à l'Est et à l'Ouest où le soleil étant bas à l'horizon touche les vitres presque perpendiculairement et pénètre profondément dans les pièces.
- Une fois l'ouverture bien orientée, la deuxième mesure à prendre est de la mettre en retrait par rapport à la façade pour qu'elle reste toujours à l'ombre.

Dans le cas des bâtiments cités plus haut ces principes ont été rigoureusement respectes.
Dans la partie «"bureaux-laboratoires » du bâtiment de l'ONERSOL (photo 165), la présence d'un couloir périphérique met (les ouvertures largement en retrait t de la façade.
Cette galerie est, de plus, protégée par des éléments brise-soleil.
Dans la partie « logements-chercheurs » de l'ONERSOL (photo 167), où un tel couloir devant les fenêtres aurait présenté des inconvénients, un système de cloisonnements a été mis au point pour mettre les vitres à l'abri du soleil (photo 167).

b/ Protection des murs contre le soleil
S’il est primordial de protéger les ouvertures contre le soleil, il est également important de préserver les murs d'un ensoleillement excessif. Les murs absorbent l'énergie calorifique à l'extérieur et le retransmettent partiellement à l'intérieur du bâtiment. Dans la partie « bureaux-laboratoires » de l'ONERSOL, les murs sont placés à l'abri du soleil en même temps que les ouvertures, grâce à la présence de la galerie périphérique.
Dans la partie « logements-chercheurs » les murs porteurs sont protégés à l'extérieur par une contre-cloison oblique, espacée du mur principal de 90 cm en partie la plus large et de 20 cm à l'extrémité haute. L'espace entre les deux est ventilé en bas et en haut, ce qui crée un circuit d'air constant de bas en haut ( photo 167).
Cette technique du contre-mur oblique ventilé a été largement utilisée dans les autres bâtiments cités et semble particulièrement efficace.

 

 

 

 

 

 

c/ Protection des toitures contre le soleil
La toiture, que ce soit le bac aluminium ou la dalle béton, s'échauffe considérablement car les rayons du soleil arrivent sur elle presque perpendiculairement pendant une longue période de la journée.
Pour protéger les pièces situées juste sous les toits, des faux plafonds soigneusement isolés thermiquement et ventilés de part en part, ont été mis en place.

d/ Ventilation de l'ensemble du bâtiment
Lorsque la circulation de l'air est rendue possible entre un espace ouvert frais et un espace ouvert chaud, il s'établît naturellement un courant d'air allant de l'espace le plus froid vers l'espace le plus chaud. En partant de ce principe, des circulations naturelles d'air frais ont été étudiées dans ces différents bâtiments, entre les patios, et entre les patios et l'extérieur, suivant l'ensoleillement et la nature du revêtement du sol. .
C'est la combinaison judicieuse de ces techniques, dont certaines sont déjà couramment utilisées, et dont d'autres sont tout à fait nouvelles, comme la technique du contre-mur oblique ventilé, qui permet d'apporter une réponse appropriée à chaque cas particulier de bâtiment à protéger contre la chaleur.

Source: les Cahiers de Constructions Traditionnelle, Corinne et Laszlo MESTER DE PARADJ

REGARDS SUR L'HABITAT TRADITIONNEL AU NIGER

Editions CREER, 1992


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